jeudi 27 mars 2014

Le culte de la Femme (aux lions) et du Taureau-Soleil


Déesse-Mère Çatal Höyük (Turquie néolithique -8500 à -5500)

Il est impossible de connaître les formes d’une religion du passé. Les religions aiment se présenter comme des traditions authentiques qui ont été transmises sans interruption et sans modification depuis le moment de leur révélation. La réalité est toute autre. Les religions sont comme des fleuves, qui peuvent jaillir de petites sources, former des ruisseaux, accueillir d’autres ruisseaux, former des fleuves etc. Quand on regarde alors les petites sources des origines par le point de vue de la religion « achevée », on a tendance à les interpréter dans ce sens, c’est-à-dire à leur attribuer des caractéristiques qu’elles n’ont acquises qu’ultérieurement. Il est impossible de connaître les religions du néolithique, et il est difficile de déduire leur forme à partir de formes plus tardives. On peut néanmoins s’y essayer, en partant de l’a priori de Dupuis que toutes les religions racontent l’Histoire du Dieu-Univers, de l’univers divin et du Ciel et de la Terre. Le Ciel étant actif et masculin et la Terre passive et féminine. C’est ce couple, source de tous les bienfaits, qui prendra une place centrale dans les cultes les plus anciens. Le soleil était l’astre le plus actif dans le Ciel, dont il parcourait l’étendu, en se levant le matin et en se couchant le soir. Son parcours et sa puissance croissante et déclinante créaient les saisons. On a appris à le connaître sous ces divers aspects et degrés de puissance. Les premiers cultes avaient sans doute pour objet les rapports entre le Ciel et la Terre, dont on avait fait des dieux, et sur lesquels furent projetés des traits anthropomorphes.

La religion de la Femme et du Taureau daterait selon Jacques Cauvin du néolithique du Proche-Orient (plus précisément entre -9500 et -9000), « à partir des trouvailles de Çatal Hüyük ».
« Sur une statuette célèbre de Çatal Höyük, la déesse, obèse, enfante, assise sur des panthères qui lui servent de trône… Ainsi convergent donc les idées de fécondité, de maternité, de royauté et de maîtrise des fauves. Ce sont bien là tous les traits de la Déesse mère qui dominera le panthéon oriental jusqu’au monothéisme masculin d’Israël. »[1]
Cette région (Anatolie en Turquie) fut habitée par les Hattis, un peuple disparu, qui adorait une déesse de la fertilité (Wurushemu) et le dieu-taureau de la nature (Taru). « Ils vénéraient ces animaux totémiques comme compagnons de la grande déesse. Celle-ci devint alors la divinité de la vie (fertilité) et de la mort (bêtes sauvages). »[2]

Cybèle

C’est dans la même région, que plus tard, Cybèle, la Mère-Epouse, fera son apparition. Son nom signifierait « gardienne des savoirs »). Elle fut à l’origine une divinité phrygienne également sous le nom d’Agdistis. Son culte sera importé par la suite en Grèce et à Rome, où elle personnifiait la nature sauvage. On trouve plusieurs représentations de Cybèle dans le Museum of Anatolian Civilization à Istanbul. Elle est assise sur un trône, un lion à chaque côté. Les montagnes qu’elle hante varient selon les civilisations qui l’ont adoptée. « Le centre de son culte se trouvait sur le mont Dindymon, à Pessinonte (Galatie, Turquie), où le bétyle[3] (la pierre météorique cubique noire à l'origine de son nom, Kubélè) qui la représentait serait tombé du ciel. » Peut-être le bétyle est l’élément (aniconique) le plus ancien du culte, sur lequel se grefferont différents mythes et cultes au cours des siècles. Mais les représentations iconiques semblent être très anciennes.
« Dans la version phrygienne du mythe, Zeus donne naissance à l'hermaphrodite Agdistis en se masturbant sur Cybèle — ou, selon la version, en répandant son sperme sur le sol pendant son sommeil —. Effrayés par sa force, les dieux l'émasculent ; du sang d'Agditis naît l'amandier. Nana, fille du dieu-fleuve Sangarios, cueille un fruit de l'arbre et le tient contre son sein ; il disparaît et elle tombe enceinte. Elle donne naissance à un garçon, qui est exposé. Élevé par des chèvres sauvages, Attis devient un jeune homme d'une beauté telle que Cybèle-Agditis s'en éprend. Cependant, il est destiné à la fille du roi de Pessinos — ou, selon la version, il perd sa virginité dans les bras d'une naïade, Sagaritis. Furieuse, Cybèle frappe de folie Attis, qui s'enfuit sur le mont Didyme, où il s'émascule. Du sang d'Attis naît le pin, toujours vert. » (Wikipedia)
Quelques soient les éléments anthropomorphes et humains qui habillent ces mythes, le fait de base, comme le répète Dupuis, est le lien entre la terre et les cycles du soleil, tel qu’il est vu par les traditions. Le soleil qui voyage le long de la voûte céleste en répandant son essence (lumière et chaleur), et en la perdant du même coup. Il crée en se sacrifiant. Il perd de sa puissance, virile. Puissance qu’il doit retrouver pour renaître et pour répandre de nouveau son essence sur la terre.

Si Cybèle est initialement la pierre noire (bétyle) inerte, tombée du ciel[4], il lui manque la vie. En répandant sa semence[5] sur Cybèle, Zeus crée un être hermaphrodite Agdistis (logiquement l’hermaphrodite de Cybèle et de Zeus). L’union des deux sexes d’Agdistis lui donne une force qui effraie les autres dieux, qui l’émasculent. De son sang naît l’amandier, dont un fruit sera recueilli par une nymphe (Nana), qui tombe enceinte et donne naissance à un garçon, qui est exposé, trouvé et élevé par des chèvres sauvages. Ce berger sera Attis dont Cybèle tombe amoureuse. Logiquement, Attis serait le fils/petit-fils[6] de Cybèle. Attis tombe amoureux d’une naïade, Sagaritis. « Furieuse, Cybèle frappe de folie[7] Attis, qui s'enfuit sur le mont Didyme, où il s'émascule. Du sang d'Attis naît le pin, toujours vert. » C’est un des multiples versions du mythe/culte de base de la Femme et le Taureau/Soleil, quel que soit le nom de la Femme, que l’on nomme ici « Cybèle » par facilité. Les détails varient en fonction de la géographie et des époques.
« Chaque printemps les adorateurs de Cybèle vont se rappeler la tristesse de la mort d’Attis en acte de jeûne et de flagellation. C’est uniquement durant la période romaine tardive des célébrations (après 300 A.D.) que le festival printanier a célébré la renaissance d’Attis. Le pin, symbolisant Attis, était coupé et ensuite porté jusqu’au sanctuaire, comme un cadavre. Plus tard, dans la suite du festival, l’arbre était enterré tandis que les initiés entraient en transe et se coupaient avec des couteaux. La nuit suivante, la tombe de l’arbre était ouverte et la renaissance d’Attis était célébrée. »
« Attis » est très clairement un des nombreux héros solaires, il représente le cours du soleil. Ce n’est évidemment pas par tristesse de la mort d’Attis que les adorateurs de Cybèle, vont se dérober de leur propre puissance, afin de l’offrir à Attis, le soleil, pour que celui-ci renaisse. Initialement, ce furent des prêtres qui s’émasculèrent, pour donner leur puissance à « Attis »/le soleil. Plus tard, il semblerait que le taurobole ait pu remplacer ce rituel. Il n’empêche que la tradition des prêtres eunuques (« galles ») s’est poursuivi jusqu’à sous l’empire romain (en 203 av. J.-C. le Sénat romain a intégré Cybèle au panthéon de la ville).
« Le taurobole est un sacrifice propitiatoire du culte de Cybèle au cours duquel on égorgeait un taureau. Les tauroboles se pratiquaient assez rarement et donnaient lieu à de grandes cérémonies « de masse » au cours desquelles de nombreux sacrifices étaient pratiqués. L’objet du sacrifice était d’abord d’assurer la prospérité de l’empereur. Par la suite il fut pratiqué pour des individus, qui fournissaient eux-mêmes leurs victimes, pour leur propre bénéfice et celui de leur famille. Il est possible que le taurobole, loin d’être ce baptême sanglant, ait consisté en une castration de l’animal, rappelant l’émasculation d’Attis. Les vires (littéralement les « forces » (ce nom a été attribué aux cornes de l’animal, mais il s’agit plus probablement des testicules) étaient ensuite enterrés, peut-être sous l’autel. Il est dès lors possible que l’autel ne se trouve pas nécessairement sur le lieu du sacrifice (l’autel taurobolique de Tain-l’Hermitage mentionne un sacrifice à Lyon). »
Cybèle sur son char de lions et Attis

Sur les premières représentations de « la Femme », on la voit assise sur un trône côtoyée de deux panthères/lions. On la verra plus tard sur un char tiré par deux lions (ou des griffions).

Anahita la Dame des animaux sauvages

Anahita vénérée par Artaxerxes II

« La Femme » sera aussi représentée comme (Aredvi Sura) Anahita (Arədvī Sūrā Anāhitā) tenant deux lions dans ses mains, ou se tenant debout sur un lion. Elle est associée au culte de Mithra. Elle serait la mère de Mithra, qui aurait été conçu de la semence de Zarathoustra préservée dans l’eau du lac Hamun dans la province perse de Sistan. On le dit aussi pétrogène, c’est-à-dire créé lui-même à partir de la roche, ou encore primogenitus ou autogenitus (T. rang byung). La roche, la pierre, fait évidemment penser à la pierre noire (bétyle) qui n’est autre que Cybèle (voir ci-dessus).

Dans l’empire romain, on trouva côte à côte le culte de Mithra (pour les hommes) et celui de Cybèle, plutôt pratiqué par les femmes et par les galles, des prêtres eunuques, habillés en femme. Les deux cultes faisaient usage de sacrifices de taureaux (tauroboles).

***

[1] Jacques Cauvin, Naissance des divinités, naissance de l’agriculture, CNRS Éditions (page 51).

[2] Source

[3] L’Omphalos de Delphes est un bétyle. « Selon la cosmogonie de la religion grecque antique, Zeus aurait lâché deux aigles des points extrêmes oriental et occidental du monde. Au point où ils se rencontrèrent, Zeus aurait laissé tomber l’omphalos, marquant ainsi le centre, le « nombril du monde ». » (Wikipedia).

[4] « Elle était adorée à Pessinonte sous la forme d'une pierre noire tombée du ciel. Cette pierre était fixée devant la bouche de la statue de la déesse. Elle fut donné à Rome au plus méritant par ses vertus des jeunes gens de la Ville, c'est ainsi qu'elle fut remise à Scipion Nasica qui, lui-même, la remit aux matrones désignées à cet effet. Son temple était rond comme celui de Vesta, il s'élevait sur le Palatin. Sa fête se terminait par le lavement de la pierre noire dans l'Almo (petite rivière qui se jetait dans le Tibre) par un vieux prêtre tandis que les autres dansaient, hurlaient, se flagellaient (une de ses statues la représente avec à la main un fouet terminé par des osselets), tapaient sur des tambours ou soufflaient dans des flûtes phrygiennes. »

[5] Une goutte d'eau à l'origine de la vie

[6] d’Agdistis

[7] Métamorphoses d’Ovide : « -"Entre le verdoyant Cybèle et la haute Célènes, un fleuve, le Gallus, roule ses ondes insensées. [4, 365] Celui qui boit à ces eaux devient fou. N'approchez pas, vous tous qui tenez à votre raison: celui qui boit à ces eaux devient fou." » Source « la rivière gallus en Phrygie qui coulait à proximité d'un temple consacré à Cybèle, son eau légendaire avait la réputation de rendre tellement fous les gens qui en buvaient qu'ils se castraient eux-mêmes. »

1 commentaire:

  1. Bonjour aux participants à ce blog.

    Si vous aimez les travaux de Charles-François Dupuis, à propos de l'universalité des religions qui prévalaient à l'époque de l'Antiquité, vous trouverez leur complément obligé, sous le site internet http://www.quand-les-dieux-et-les-hommes-etaient-des-astres.net

    Vous ne serez certainement pas déçus d'y jeter un coup d'œil.

    Claude Gétaz

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