dimanche 16 mars 2014

Le parcours du soleil



Du brainstorming, du brouillon et des spéculations, soyez avertis.

Jacques Cauvin pense que c’est au néolithique qu’émergea une religion de la Femme et du Taureau (-9500 à -9000). Les racines religieuses de ce double thème remontent donc très loin. Impossible de savoir comment furent interpréter ces symboles (les premiers) à cette époque, mais nous savons mieux comment ils furent interprétés par la suite, par exemple dans la civilisation égyptienne et dans les civilisations sous son influence. Ce thème a été décliné de multiples façons, avec des versions différentes selon les époques et les lieux.


Les dieux semblent avoir été honorés initialement sous la forme d’animaux symboliques. Ptah, le démiurge (« qui ouvre ») prend la forme du taureau Apis. Hathor, la déesse de l'amour, de la maternité, etc. prend la forme d’une vache. Sous cet aspect elle est représentée comme une vache « étendue au-dessus de la terre, son corps parsemé d'étoiles représentant le ciel. Elle peut prendre aussi la forme d'une femme arc-boutée sur la terre, ses mains reposant à l'ouest et ses pieds à l'est. Son corps est toujours constellé. » [1]Mais la vache Hathor semble, plus tard, symboliser aussi le ciel (Nout), la Nature (Isis) et le taureau Apis, avec le disque solaire entre ses cornes, le dieu solaire et Osiris. Ces différents aspects correspondent aussi à des développements à différents moments. La cosmogonie d'Héliopolis (époque prédynastique) est très complexe et introduit des stades intermédiaires (triades, ogdoades, ennéades…) de la création.
« C’est au Soleil et à la Lune, adorés sous les noms d’Osiris et d’Isis, qu’ils attribuaient le gouvernement du Monde, comme à deux divinités premières et éternelles, dont dépendait tout le grand ouvrage de la génération et de la végétation dans notre Monde sublunaire. »
« Enfin le Monde, dans le système égyptien, était regardé comme une grande Divinité, composée de l’assemblage d’une foule de dieux ou de causes partielles, qui n’étaient autre chose que les divers membres du grand corps appelé Monde ou de l’Univers-Dieu.
» [2]
Isis, ce n’est pas seulement la lune, mais tout ce qui est sublunaire. Elle est la Nature nourricière, qui avec la lumière et la chaleur du soleil produit toute la végétation. Avec le temps, les hommes ont appris à établir le cours du soleil, le cours des astres, les liens entre ceux-ci et les saisons etc. Ils étaient considérés et vénérés comme des divinités, selon un calendrier qui s’inscrivait dans le discours qu’ils s’en faisaient.

L’idée de base semble être celle du cycle solaire associé à la royauté et à l’immortalité de celle-ci. Le soleil se lève (scarabée Khépri) chaque jour en orient, monte au zénith (Rê Horakhty), entre les deux sommets, et se couche (Atoum) en occident. Il traverse alors le monde souterrain sur sa barque solaire en affrontant les dangers (serpent Apophis etc.) et réapparaît de nouveau rajeuni en orient. Douze heures le jour, douze heures la nuit. Dans les traditions anciennes le soleil (taureau) met une année pour parcourir l’espace (la vache) et s’épuise en le faisant. Les six premiers mois sa puissance s’accroît, puis comme pour le cycle du jour et de nuit, elle faiblit les six derniers mois de l’année, meurt et renaît. Les légendes des héros solaires reprennent ce thème, où la vie des hommes de descendance divine revisite les douze stations du soleil. La généalogie des rois se rattache aux héros solaires et leur culte reprend les mêmes thèmes solaires. Quand le roi meurt, un nouveau roi prend sa suite. C’est aussi naturel que le lever et le coucher du soleil. Le mythe d’Osiris posera les fondations de la royauté égyptienne.
« Dès qu'Osiris fut monté sur le trône, il retira les Égyptiens de la vie sauvage et misérable qu'ils avaient menée jusqu'alors; il leur enseigna l'agriculture, leur donna des lois et leur apprit à honorer les dieux. Ensuite, parcourant la terre, il adoucit les mœurs des hommes, eut rarement besoin de la force des armes, et les attira presque tous par la persuasion, par les charmes de la parole et de la musique ; aussi les Grecs ont-ils cru qu'il était le même que Bacchus.
Typhon, qui, pendant son absence, n'avait osé rien innover, parce que Isis administrait le royaume avec autant de vigilance que de fermeté, tendit des embûches à Osiris lors de son retour, et fit entrer dans la conjuration soixante-douze complices. Il fut secondé aussi par la reine d'Ethiopie, qui se nommait Aso. Il avait pris furtivement la mesure de la taille d'Osiris, et avait fait faire un coffre de la même grandeur, très richement orné, qu'on apporta dans la salle du festin qu'il donnait à ce prince. Tous les convives l'ayant regardé avec admiration, Typhon leur dit, comme en plaisantant, qu'il en ferait présent à celui d'entre eux qui, s'y étant couché, se trouverait justement de la même grandeur. Chacun d'eux l'ayant essayé à son tour sans qu'il convînt à personne, Osiris y entra aussi et s'y étendit. A l'instant les conjurés accourent, ferment le coffre, et pendant que les uns en clouent le couvercle, les autres font couler sur les bords du plomb fondu pour le boucher exactement ; après quoi ils le portent dans le Nil, d'où il fut poussé dans la mer par l'embouchure Tanitique, dont les Égyptiens, pour cette raison, ne prononcent encore aujourd'hui le nom qu'avec horreur. Cette conjuration eut lieu le 17 du mois athyr[2], où le soleil parcourt le signe du Scorpion, la vingt-huitième année du règne d'Osiris ; d'autres disent de son âge et non pas de son règne
. »
« Typhon, poursuivant un porc pendant la pleine lune, trouva le coffre de bois où était enfermé le corps d'Osiris, qu'il coupa en plusieurs morceaux, et dispersa de côté et d'autre. »
Dupuis termine :
« La déesse [Isis] l’ayant vu, vint rassembler ces lambeaux épars ; elle les enterra chacun dans le lieu où elle les trouva. De toutes les parties du corps d’Osiris, les parties de la génération furent les seules qu’Isis ne put retrouver. Elle y substitua le Phallus, qui en fut l’image, et qui fut consacré dans les mystères. »[3]
Ce sont ces mystères centrés sur le Phallus d’Osiris qui fondèrent l’autorité royale. Ainsi, quand un roi égyptien meurt, c’est le Livre des morts égyptien, dont le titre est « Livre pour Sortir au Jour », qui fournira les instructions pour sa résurrection. Hathor, notre première déesse, la Femme, est aussi associée au royaume des morts, et dans ce cadre elle est appelée « Déesse du sycomore[4] ». En occident, à la limite du monde souterrain, se trouvent deux sycomores de turquoise entre lesquels Rê (le dieu solaire) sort. Il est alors comme mangé par le ciel et embarqué pour les sycomores à l’est, d’où il réapparaîtra.
« Sur le sarcophage Uppsala 228, le dieu-soleil à corps humain et à tête de veau est assis dans le disque, qui repose entre les cornes de la tête étoilée de la vache du ciel : l’ensemble est encadré du double lion ikr (?) et de deux sycomores. On notera enfin que la vignette du LdM 110 du papyrus de Nakht associe les travaux dans le champ des souchets à la navigation vers l’est du défunt qui, comme le soleil, renaît entre deux sycomores. » (Nathalie Baum)
Il y a donc deux limites entre le monde des morts et des vivants, aux sommets à l’est et à l’ouest, marqué par deux sycomores de turquoise. Le dieu-soleil, qui s’est couché à l’ouest, a passé dans le monde souterrain, et voyage vers l’ouest « est assis dans le disque, qui repose entre les cornes de la tête étoilée de la vache du ciel » (voir illustration ci-dessus, Hathor vache céleste) et a déjà son nouvel aspect du jeune dieu-soleil « à tête de veau ». Quand la vache du ciel (Hathor) est représentée avec un disque solaire entre ses cornes, c’est qu’elle porte le jeune dieu-soleil. Et quand elle se tient dans la barque, c’est qu’elle fait le voyage dans le monde souterrain (la nuit ou l’hiver).


Les plumes d’autruche sur la tête de la vache céleste (voir ci-dessus) symbolisent la déesse Maât[5]. Le collier est le collet de menat[6]. l'Œil Oudjat [sur la barque] est un symbole protecteur représentant l'Œil du dieu faucon Horus. Un des attributs de la déesse anthropomorphe Hathor est le "sekhem", le sistre-porte, un attribut, également instrument de musique. Les deux montants évoquent pour moi le portique formé par les deux sycomores de turquoise, à la limite des mondes. « La porte étroite figurée est celle par laquelle l'enfant doit passer pour naître, c'est le symbole de la maternité. Ce sistre exprime la renaissance du défunt sous l'aspect d'Ihy, fils d'Hathor. » Sur le modèle du sistre-port turquoise ci-dessous, on voit assis sur le haut la déesse Maât[7] et un couple d’oiseaux, représentant le dieu Shou et la déesse Tefnout, le premier couple (frère et sœur) engendré par le créateur (grande Ennéade d'Héliopolis).[8]

Dans cet aperçu, différentes couches d’interprétation de différentes périodes sont regroupées, pour avoir une notion du sens général. En faisant abstraction de toutes les autres croyances funéraires et après-mort, le sens général est le fait que le dieu-soleil est un dieu cyclique, mais néanmoins immortel. Ce dieu a un cycle diurne, où il est manifeste, et un cycle nocturne où il ne l’est pas. Quand il n’est pas manifeste, la Déesse le porte ou l’engloutit. Il a également un cycle annuel, avec six mois de puissance, et six mois de faiblesse, qu’il passe également dans le monde souterrain. Il sort du monde des vivants par un portique de deux sycomores de turquoise en occident, repose entre les cornes de la vache céleste embarquée, et repasse de nouveau par un portique de deux sycomores de turquoise pour renaître et re-apparaître. Si le "sekhem", le sistre-porte, est une représentation de ce portique, d’autre symboles de la grande Ennéade d'Héliopolis peuvent nous éclairer, même si c’est une interprétation plus tardive. En passant par le portique, le soleil (le roi, « on ») se revête des quatre éléments (couple d’oiseaux) et de l’ordre cosmique (Maât). En repassant par l’autre portique en occident, à la fin du cycle de vie, le soleil (le roi, « on ») se dévêtit des éléments. L’ordre cosmique reste présent sous la forme des plumes d’autruche sur la vache.


Le sistre-porte est un symbole plutôt féminin, comme doivent l’être les deux sycomores plus anciens. Dans la civilisation minoenne, on retrouve le portique sous la forme de deux double haches (labrys), surmontées chacune d’un oiseau (sarcophage de Haghia Triada). Deux femmes versent des libations dans l’urne entre les deux haches. Elles sont suivies d’un homme jouant de la harpe. La première femme est peut-être habillée à la façon d’une prêtresse.


De l’autre côté, trois hommes portent deux veaux et une barque vers une figure de femme ( ?), qui se tient à même le sol. Il s’agit d’une fresque sur un sarcophage, donc le portique représenté est celui du monde des morts.


La face sud du sarcophage montre le sacrifice d’un taureau, le sang coulant dans un jarre, ce qui pourrait faire penser que les jarres contenant les libations, contiennent le sang du taureau. Une prêtresse ( ?) dépose une cuvette devant le portique de la double hache surmonté d’un oiseau. On perçoit aussi une aiguière. Est-ce dû à la perspective que l’on ne voie qu’une seule hache et qu’un seul oiseau ? Derrière le portique, on perçoit une sorte d’autel avec un arbre et quatre symboles de cornes caractéristiques (Djew ? voir ci-dessous).


La face est représente un chariot avec deux femmes, tiré par un couple de griffions ailés. C’est le chariot qui conduit les défunts. Le fond est rouge comme le sang de la libation. Un oiseau les guide vers le monde souterrain. Voir le lien entre les oiseaux (filles à pattes et à plumes) et le monde souterrain.


Sur l’autel du sarcophage de Haghia Triada (face sud) on perçoit quatre formes en U. Dans l’île de la Crête, on a découvert les mêmes formes en grand.


Elles font penser au hiéroglyphe Djew, qui signifie « horizon », les deux sommets de la vallée du Nil, l’un à l’est (Bakhu) l’autre à l’ouest (Manu), les deux sommets étant gardés par un lion, protégeant le lever et le coucher du soleil. La voute céleste se reposait sur ces deux sommets. Le hiéroglyphe semble ainsi désigner le parcours visible du soleil. 

Le hiéroglyphe Djew

La forme d’un autre hiéroglyphe, Ka, lui pour ce qui est de sa silhouette en forme de U ou V, mais les deux limites ressemblent à une paire de bras étendus vers le ciel. 

Le hiéroglyphe Ka

Il signifie « âme » ou « esprit », qui devient manifeste quand un individu est né. Le Ka d’un individu continuait à vivre, même après sa mort.

Hathor anthropomorphe 

***

[1] Source

[2] Ch. 2 Universalité du culte rendu à la Nature, prouvé par l’histoire et par les monuments politiques et religieux.

[3] Dupuis, Abrégé, ch. VI

[4] Arbre représentant le monde des défunts

[5] « On trouve la plume d'autruche sur les coiffures des dieux, sur le plateau de la balance lors de la pesée du coeur (jugement d'Osiris). Mais la plume est plus spécialement l’attribut de Maât, la déesse de la justice et de la vérité. Cette plume, la " rectrice " permet un vol parfait et représente à la fois la légèreté du cœur juste et la fragilité de l’harmonie. » site de JF Bradu

[6] « Menat : ce terme désigne le collier de la déesse Hathor. Le collier est divisé en deux parties :
- le collier proprement dit constitué de perles le plus souvent ornées d'une tête de la divinité
- le contrepoids fixé dans le dos permettant de retenir le collier
Hathor, "maîtresse de la Nécropole", fait toucher les perles de son collier aux défunts afin de leur procurer l'immortalité. » site de JF Bradu

[7] « Fille de Rê (ou d'Atoum) et épouse de Thot, Maât est une divinité primordiale dans la mythologie égyptienne, elle permet l'équilibre du monde établi par le créateur. C'est Maât qui assure le bon déroulement des jours, des saisons, de la crue du Nil etc... » site de JF Bradu

[8] « Il est le dieu de l'air sec, contrairement à son épouse qui incarne l'humidité. Avec leurs enfants, Geb (la Terre) et Nout (le ciel), ils forment les quatre éléments primordiaux. Shou soutient de ses bras la voûte céleste Nout après l'avoir séparée de la terre Geb. »

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