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mercredi 2 décembre 2015

Loix chrétiennes sur les païens



Extraits de La violence monothéiste de Jean Soler, pages 321-322 et 324-325

« Au temps des premiers empereurs chrétiens, il valait encore mieux être juif que chrétien hérétique ou polythéiste traité de « païen ». Cette dénomination apparaît dans une loi de 409 - un siècle après la conversion de Constantin : « ... Les gentiles que l’on appelle communément paganos...» (5, 46). Le paganus est un paysan, ou un villageois, par opposition à l’habitant des villes. Le terme a pris une coloration péjorative comme si, à la campagne, on était forcément arriéré. Peut-être faut-il voir dans le choix de de mot un indice que les milieux ruraux résistaient davantage à la progression du christianisme que le milieu des citadins. Pagani désigné les polythéistes non encore chrétiens, comme si c’était là une preuve de rusticité ou d’esprit peu ouvert ! Le latin gentiles, donné comme synonyme, est la traduction usuelle de l’hébreu goyim, « nations », par lequel les Juifs désignaient les non-Juifs. Il y a là un passage de l’ancien Israël, le peuple juif, au nouvel Israël, le vrai Israël » (verus Israël), comme on dit désormais, le « peuple de Dieu ». Tous ceux qui n’appartiennent pas au « peuple » (transnational) des chrétiens sont l’équivalent des goyim pour les Juifs. L’opposition reste binaire (deux contraires face à face) mais les rôles ont changé de sens.

La lutte contre les cultes polythéistes a pris d’abord la forme d'une interdiction des sacrifices sanglants : « Que cesse la superstition, que la folie des sacrifices soit abolie » (10, 2, 341). Quinze ans plus tard, l’interdit est réitéré et la sanction précisée : « Nous ordonnons de soumettre à la peine capitale ceux dont il serait trouvé qu’ils s’adonnent aux sacrifices ou adorent des idoles » 10, 6, 356). La loi est rappelée encore trente-cinq ans après : Que nul ne se souille par le sacrifice d’animaux, que nul n’immole de victime innocente, que nul ne se rende dans les sanctuaires, que personne ne parcoure les temples, que personne vénère des images (sculptées ou peintes) faites par la main des mortels, sous peine d’être passible de sanctions divines autant qu’humaines » (10, 10, 391). Ces lois signées par un empereur - ou par plus d’un, car ils ont été souvent plusieurs à régner ensemble après Constantin - sont rédigées sans doute par des ecclésiastiques. Ceux-ci prennent à l’Ancien Testament ce qui leur convient : la condamnation des idoles, dans les termes mêmes de la Bible hébraïque, et ils écartent ce qui les gêne : les sacrifices animaux, qui étaient pourtant la principale raison d’être du Temple de Jérusalem. Il est vrai que l’Epître aux Hébreux attribuée à Paul explique que Jésus-Christ a mis un terme aux sacrifices animaux en s’offrant lui-même en sacrifice. L’expression de « victime innocente » employée dans cette loi renvoie à la manière dont les chrétiens parlaient de la Passion : ils comparaient Jésus à un « agneau ».

Pour empêcher les païens de persévérer dans leur erreur, par manque de clairvoyance ou de bonne foi, le meilleur moyen qu’a trouvé le pouvoir christiano-impérial a été de « fermer » les sanctuaires où ces infamies étaient perpétrées : « Il Nous a plu que les temples soient immédiatement fermés en tous lieux et dans toutes les villes et que, leur entrée étant interdite, la possibilité de commettre un délit soit refusée à tous ceux qui sont égarés » (10, 4, 346 etc.). Un demi-siècle plus tard, la décision a été prise de « détruire » les temples ruraux (probablement parce que les paysans ne respectaient pas l’ordre de les fermer) : « S’il existe des temples dans les campagnes, ils seront détruits sans trouble ni désordre. En effet, une fois ceux-ci abattus et supprimés, on aura retiré toute base matérielle à la superstition » (10, 16, 399). Les temples des villes, d’une plus grande qualité, ont été épargnés au nom d’une défense (intéressée) du patrimoine : « Que nul ne tente de détruire les temples vides de tout contenu illicite en se prévalant de Nos sanctions. Nous décrétons en effet que le bon état des bâtiments soit préservé » (10, 18, 399). Une loi ultérieure dit pourquoi : «Les bâtiments mêmes des temples qui sont dans les cités, à l’intérieur ou à l’extérieur des lieux fortifiés, seront revendiqués pour l’usage public. Que les autels soient détruits en tout lieu et que tous les temples situés dans Nos domaines soient reconvertis à des usages appropriés » (10, 19, 407). L’un de ces « usages » a été de transformer les temples en églises. Mais sous l’empereur Théodose II, il n’y a plus eu de demi-mesure : « Nous ordonnons que tous leurs sanctuaires, leurs temples et leurs lieux sacrés, s’il en reste aujourd’hui encore qui soient intacts, soient détruits sur l’ordre des magistrats et purifiés en y plaçant le signe de la vénérable religion chrétienne. Que tous sachent que, s’il était établi devant un juge compétent et par des preuves appropriées que quelqu’un bafouait cette loi, il serait puni de mort » (10, 25, 435). »

[…]

« A l’égard des païens eux-mêmes, indépendamment de leurs lieux de culte, l’évolution suivie de Constantin à Justinien s’est traduite également par une intolérance toujours plus grande.

L’édit de Milan, appelé « édit de tolérance », publié par Constantin en 313, mettait les païens et les chrétiens à égalité. Avec Théodose Ier, empereur de 379 à 395, le christianisme trini- taire s’impose définitivement et devient la religion officielle de l’Empire romain. Les cultes païens publics sont interdits. Et cet empereur d’origine espagnole, chrétien austère, entier et intransigeant, est allé, à la fin de sa vie, jusqu’à interdire les cultes privés : « Que nul, sans exception, quels que soient son origine ou son rang dans les dignités humaines, occupant un poste de pouvoir ou investi d’une charge publique, qu’il soit puissant de par sa naissance ou humble par son origine, sa condition ou son sort, ne sacrifie de victime innocente à des idoles dépourvues de sens, en absolument aucun lieu ni aucune ville. Que nul ne vénère, sacrilège plus discret, son dieu lare par le feu, un génie par du vin pur [1], les pénates par du parfum, ni n’allume de lampes, ne dépose de l’encens ou ne suspende de guirlandes» (10, 12, 312).

[1] Cela rappelle l'offrande d'alcool chez les tibétains présentée dans un ser skyems, destiné aux huit classes de dieux-démons (génies).  

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