Pour tous les théologiens le soleil est le père de la nature
« Il fait fuir l'ombre sa rivale éternelle ; Il a eu nos premiers hommages. Mais, si la lumière nous montre la nature, c’est la chaleur qui la féconde. Elle est un autre bienfait du soleil. Elle suit dans ses variations un mouvement de cet astre, différent de son mouvement diurne; c'est celui qui partit l’emporter dans un cercle dont l'obliquité, par rapport au cercle diurne, tantôt approche, tantôt éloigne le plan de celui-ci du point de notre zénith. Cette distance plus ou moins grande, mais qui n'excède jamais certaines bornes, est cause que le cercle diurne est, en plus ou moins grande partie, au-dessus de notre horizon, et que le jour l’emporte en longueur sur la nuit, ou la nuit sur la jour. Les deux points où ils sont égaux ont dû être remarqués; Ce sont les équinoxes. Le cercle diurne, que le soleil décrit en deux jours, a été appelé équateur. Les deux points les plus éloignés des équinoxes, les points solsticiaux où le soleil s’arrête et rétrograde, dans l'un pour s'éloigner de nous, dans l'autre pour nous revenir, n'ont pu manquer de frapper aussi les observateurs. Les cercles qu’il parait décrire ces jours-là, furent appelés tropiques. On célébra dans ce temps Jupiter stator ou stationnaire. Le solstice d’hiver surtout a été une époque de fête ; c’est la renaissance de l’espérance, natalis solis invicti, ou Noël. L’équinoxe du printemps est un moment encore plus heureux ; c’est celui où le soleil reprend sa supériorité de lumière et de chaleur, et où se développe la fécondité : c’est la fête de la Pâque ou du Passage. Le solstice d'été est le maximum de sa gloire. À l’équinoxe d'automne, les ténèbres ne l’emportent pas encore sur la lumière ; mais la force de la chaleur est diminuée, et le soleil est privé de sa vertu génératrice. C’est sous tous ces aspects qu’il nous est peint par les poètes et les théologiens.
Après le soleil, la lune a fixé les regards. Elle n’est point douée de chaleur et de fécondité, sa lumière est faible et empruntée, et éprouve des altérations et des intermittences ; elle n’a dû avoir que le second rang. Mais elle éclaire les nuits ; elle est remarquable par la grandeur apparente de son disque et par ses phases, dont elle offre seule l'exemple à l'observateur qui n’a point d’instruments pour découvrir celles des autres planètes. Ses petites périodes de sept et de vingt-neuf jours, sont commodes pour mesurer des durées plus longues qu’un jour. Douze des révolutions de sa lumière répondent à une des révolutions annuelles du soleil; chacune sert à en mesurer la douzième partie, et a semblé concourir à ce qu’elle opère ; car on est bien tenté de regarder comme cause d'un effet, ce qui en est le signe certain et constant. La lune a dû être associée au soleil, comme sa compagne et sa sœur. Un autre astre moins grand que la lune en apparence, mais si beau qu’on le voit quelquefois en plein jour, attire ensuite les regards. Il s'écarte peu du soleil; nous le voyons ou précéder son lever ou suivre son coucher. On ne l’a pas d'abord reconnu pour le même. On en a fait l’étoile du matin et celle du soir, lucifer et vesper ; mais bientôt il est devenu Vénus, la déesse de la beauté. Le peuple l'appelle l’étoile des bergers, qu'il conduit aux champs ou en rappelle.
Arec un peu d‘attention on remarque bientôt un quatrième astre plus petit mais très brillant, qui s’éloigne encore moins du soleil, qui a une marche très rapide, Il devint Mercure, le secrétaire, le messager des dieux. Trois autres furent ensuite observés se mouvant dans le même sens que le soleil et la lune, mais sans s'attacher à eux. L'un a une lumière blanche et pâle, et une démarche si lente, qu'il met à faire sa révolution autant de mois que le soleil de jours, c'est-à-dire, trente ans. Il s’appelle Saturne. Il fut l'emblème de la vieillesse, du temps, etc. Il voit périr tant d'hommes qu’il dévore ses enfants. Le second est de couleur d'or comme le soleil. Chaque année du soleil est un mois pour lui, c’est-à-dire, qu’il reste un an dans chaque signe, et qu’il achève sa révolution en douze ans. Ces analogies le firent appeler Jupiter et père du jour comme le soleil. Le troisième est rouge couleur de sang et sa révolution est de deux ans, en sorte qu’à chaque seconde année il est opposé pu soleil. Cette opposition et cette couleur en firent Mars, dieu des combats et de la résistance. Voilà les sept grands dieux : on les rangea suivant l'ordre apparent de leur distance et de la longueur de leur révolution, à savoir, la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter et Saturne. Le soleil est au milieu, est le quatrième. On imagina qu'ils formaient un système harmonique, dont le Soleil est là quarte. Voilà les sept notes. Les planètes étant rangées ainsi, partez d’une d'elles prise à volonté, comptez toujours par quatre, et prenez la quatrième. Vous aurez ces dieux dans l'ordre des jours de la semaine qui leur sont consacrés. Si, au contraire, vous ne comptez que par trois et prenez la troisième, vous les aurez dans l’ordre précisément inverse comme dans l'échelle de l'antre mithriaque.
Ces astres errants, leurs stations, leur rétrogradations, leurs conjonctions, leurs oppositions, entr’eux et avec le soleil et la lune, donnèrent lieu à une infinité d’observations, de combinaisons et de suppositions astrologiques. Puisqu’ils se mouvaient isolément, on leur supposa à chacun une sphère séparée ; de là les sept sphères imaginées au-dessus les unes des autres. Mais ces astres, indépendamment de leur mouvement particulier, paraissent entraînés tous les jours par le mouvement général de toutes les étoiles qui n’en ont pas d’autre, Le Ciel où Uranus fut une huitième sphère, un premier dieu qui renferme tous, les autres et tes subjugue.
Les cercles que décrivent ces astres, errants ne s'éloignent jamais de plus de neuf degrés du cercle de la révolution annuelle du soleil, C’est donc dans une bande large de dix-huit degrés que tous ces orbites sont renfermés. Tous les astres fixes compris dans cette bande, furent partagés et groupés sous douze signes ou figures qui marquaient les douze points où la lune se trouvait pleine pendant une révolution annuelle du soleil. La plupart de ces signes étaient des figures d'animaux ; on appela la bande qui les comprenait, zodiaque ou cercle des animaux. Le cercle que décrit le soleil au milieu de cette bande, s’appelle écliptique, parce qu'il ne peut être éclipsé que quand la lune et lui sont dans ce cercle ; mais cette réflexion est postérieure. On ne vit longtemps dans les éclipses que des entreprises du principe des ténèbres[1]. Les divers signes du zodiaque varièrent infiniment les attributs du soleil, de la lune et des planètes devenues dieux, suivant qu'ils étaient unis à l'un ou à l’autre. Le zodiaque fut appelé la route des dieux ; et ses signes devinrent douze dieux, ministres des sept premiers dieux. Ils présidèrent aux douze mois. De signes, ils devinrent causes, ce qui arrive toujours.
Les étoiles extra-zodiacales furent partagées aussi en trente-six constellations, dont chacune répondit à un tiers de signe, avec lequel elle se levait où se couchait. On leur attribua aussi des influentes ; elles devinrent des dieux coopérateurs. La nuit elle-même devint un dieu. Elle rafraîchit la nature; c'est sous son ombre que se montrent tous les dieux qui parent le ciel. Cependant toutes les étoiles fixes paraissent décrire chaque jour chacune un cercle parallèle à celui que semble décrire le soleil ; ces cercles sont plus petits à mesure qu’ils sont placés plus loin de l'équateur. Les constellations voisines de l'équateur paraissent donc se mouvoir plus vite ; aussi leur a-t-on souvent donné des ailes.
Mais, enfin, toutes se meuvent. Il n'y a qu'un point dans le ciel qui paraisse immobile; c’est celui autour duquel tous les astres tournent. C'est le pôle commun à tous ces cercles, celui de l’équateur céleste, celui du monde ; ce point a dû être remarqué ; il l'a été en effet. On a appelé finitor ou horizon le cercle qui termine notre vue. Si nous habitions sous l’équateur terrestre, le pôle du monde serait à notre horizon, et tous les cercles des étoiles lui seraient perpendiculaires. Leur partie visible ou au-dessus de l’horizon serait égale à celle invisible ou au-dessous; si au contraire nous habitions sous le pôle de la terre, le pôle du monde serait perpendiculairement sur notre tête ou à notre zénith. L'équateur se confondrait avec l'horizon ; et tous les cercles des étoiles lui étant parallèles, une moitié de ces astres nous serait toujours visible, et l'autre jamais.
Mais presque tous les habitants de la terre sont entre ces deux points extrêmes. Ils ont donc tous les cercles décrits par les étoiles obliques à leur horizon. Les plus près du pôle supérieur sont toujours visibles, les plus près du pôle inférieur toujours invisibles, et tous les autres partagés inégalement, excepté l'équateur qui est partagé en deux partie égales, comme nous l'avons vu. Les points où il coupe l’horizon, déterminent l'Orient et l’Occident. Celui où le plus grand parallèle toujours visible touche l’horizon, fixe le Nord ; et celui où le plus grand parallèle toujours invisible touche le même horizon, fixe le Midi. Le cercle qui passe par ces deux points, Nord et Midi et par notre zénith s'appelle Méridien, parce qu'il coupe en deux parties égales les parties visibles ou supérieures à l'horizon des cercles diurnes de tous les astres. Le moment où ils passent au méridien, est donc le milieu de leur course, le moment de leur plus grande hauteur au-dessus de l'horizon. Ce point fut remarqué et entre dans les combinaisons astrologiques et mythologiques.
À ce propos, observons que la hauteur d'un astre se mesure par le nombre de degrés d’un cercle vertical à l’horizon, comptés depuis l'horizon jusqu’au lieu de l'astre. Son amplitude ortive ou occase est le nombre de degrés de l’horizon, depuis le point d’Orient ou d’Occident jusqu’au point du lever ou du coucher de l’astre. Elle est australe ou boréale. Sa déclinaison est le nombre de degrés d’un cercle perpendiculaire à l’équateur, compris entre l’équateur et le lieu de l'astre : elle est boréale ou australe ; et son ascension droite est le nombre de degrés de l'équateur, compris entre le point où ce cercle perpendiculaire coupe l'équateur, et celui où l'équateur coupe l'horizon. Sa latitude est le nombre de degrés d'un cercle perpendiculaire à l'écliptique, compris entre l’écliptique et le lieu de l’astre ; et enfin sa longitude est le nombre de degrés de l'écliptique, compris entre le point où ce cercle perpendiculaire coupe l’écliptique et le point équinoxial.
Ces définitions étaient nécessaires : mais revenons au méridien. On a observé le passage des astres à ce cercle. II a été aisé de reconnaître qu’il avançait chaque jour de quatre minutes de temps, sur celui du soleil à ce même cercle, à cause du mouvement annuel de cet astre dans l’écliptique. Cette différence en faisait une de deux heures en un mois, de six heures en trois mois, et de douze heures en six mois ; en sorte qu’un astre qui se levait à l’équinoxe du printemps avec le Soleil ; au solstice d’été est au méridien à la même heure de six heures du matin ; à l’équinoxe d’automne est déjà au bord occidental de l’horizon à cette même heure ; et par conséquent il se couche le matin et se lève le soir. Cette correspondance entre la marche des étoiles et celle du soleil a été plus aisément aperçue par les passages au méridien, que par les levers et les couchers, parce que l'accroissement et la diminution successive des jours change les heures de ceux-ci. Cependant les levers et les couchers ont été fort remarqués, et on en a distingué de trois espèces. Partons du moment où une étoilé se lève en même temps que le soleil, parcourt avec lui la partie visible du ciel, et se couche avec lui cela s'appelle le lever et le coucher cosmiques de l'étoile. On ne la voit point du tout à cette époque.
Quinze ou vingt jour après, le soleil ayant retardé sur l'étoile d'environ une heure, on l’aperçoit à l’horizon un moment avant que l'astre du jour ait dissipé la nuit et bientôt elle se perd dans ses rayons. C’est ce qu’on nomme le lever héliaque. Mais l’étoile avançant toujours d’un jour sur le Soleil, elle est successivement visible plus longtemps avant son lever ou une plus grande partie de la nuit, jusqu'à ce qu'enfin elle se trouve déjà se coucher quand il ne fait que se lever, et par suite se lever quand il se couche. C'est ce qu’on appelle le lever et le coucher acroniques. L’astre, est visible toute la nuit à cette époque, qui arrive six mois après le lever et le coucher cosmiques dont elle est l’opposé.
Enfin l’étoile avançant toujours, elle est quelque temps après déjà au haut de sa course, que le soleil n'est pas encore couché. On ne la voit plus que quelques heures le soir ; et bientôt le soleil ne le devançant plus que d'environ une heure, on l’aperçoit un instant seulement s’échapper de ses rayons lorsqu’il se couche, et se plonger tout de suite après lui sous L'horizon : c’est ce qu’on appelle le coucher héliaque, que suivent de près le coucher et le lever cosmiques par où nous avons commencé. Cette théorie des levers et des couchers est très nécessaire pour l'intelligence des calendriers des anciens, de leurs livres d'astrologie et de leurs fables mythologiques ; car ils ont très souvent associé aux effets du soleil, comme des causes secondaires, les astres qui étaient remarquables par leur beauté. »
Extrait de chapitre 3 de l'Analyse raisonnée de l'origine de tous les cultes, ou Religion universellepar Antoine Louis Claude Destutt de Tracy
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[1] Comment. P.e. Rahu et Ketu
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