Extrait de : Histoire du bouddhisme indien, Etienne Lamotte 783-785
Maitreya, en sa qualité de buddha du futur, a toujours eu droit de cité dans le bouddhisme. Son nom, son ancienneté invitent à le rattacher au Mitra védique et au Mithra iranien, dieu souverain, mais encore divinité sociale, contractuelle, d’aspect bienveillant et juridique.
Dès l’origine, il s’insère dans la longue liste des Buddha du passé et du futur qui ont précédé ou suivront Śākyamuni. Maitreya ne se distingue pas de ses confrères : ce sera un Buddha comme tous les autres.
Le Pārāyana place à l’époque de Śākyamuni un certain Maitreya ou Tiṣya-Maitreya dont il fait Un élève de Bāvari. Avec quinze autres compagnons, dont Ajita, il est converti par Śākyamuni et accède à l’état d’Arhat. L’auteur n’établit encore aucun rapport entre l’étudiant Maitreya et le Buddha du futur.
Cependant, parmi toute la lignée des Tathāgata, c’était tout naturellement Maitreya qui devait éveiller l’intérêt et retenir l’attention. Śākyamuni étant nirvāné, c’est de son successeur immédiat qu’il faut attendre l’avènement de l’āge d’or de l’humanité. Les Maitreyavyākarana s'attachèrent à décrire les événements merveilleux - et les conversions en masse qui marqueront la venue de Maitreya en ce monde.
Mais ces prédictions demeuraient trop impersonnelles et trop abstraites. Pour les présenter de manière plus vivante et plus actuelle, on voulut qu’elles aient été faites par Śākyamuni à l’endroit de ses contemporains. De par son nom même, Maitreya, disciple de Bāvari, était tout désigné pour en être le bénéficiaire. Dans-toute une série de textes dont le Pürvāparāntakasütra est le plus caractéristique, on imagina une assemblée solennelle au cours de laquelle Śākyamuni formula ses prédictions à l’endroit de Maitreya et de son compagnon Ajita. Remettant à Maitreya la tunique d’or offerte au Samgha par Mahāprajāpatī, Śākyamuni lui annonce qu’il sera plus tard le buddha Maitreya; Ajita, son compagnon, reçoit l’assurance d’être, à la même date, le cakravartin Sankha.
Finalement — si tant est qu’il y eut jamais point final — Ajita et Maitreya furent fondus en un même et unique personnage : Ajita-Maitreya. La fusion n’a rien d’étonnant si l’on remarque, avec J. Filliozat, que Maitreya, le « Bienveillant » est dérivé de maitrī « bienveillance », et que le propre de la maitrī est de rendre son possesseur invulnérable et ajita « invaincu ».[1]
De par son nom, Maitreya l’invaincu, le buddha du futur, devint le pendant ou la réplique du dieu iranien Mithra—Sol Invictus[2] et fut entraîné dans le grand mouvement d’espérance messianique qui, sous des symboles divers, traversa tout l’Orient à la fin de l’ère ancienne. Le syncrétisme qui règne en maître aboutit, dans les textes manichéens en ouigour, à une vaste synthèse où fusionnent à la fois le « Mithras Invictus », « Jésus fils de Dieu » et « Maitreya Ajita ».
Le culte de Maitreya fut particulièrement florissant en Asie Centrale jusqu’à l’installation de l’Islam.[3] Les sources recueillies par les diverses missions archéologiques sont multiples : statues et fresques, textes historiques, documents de fondation de temples et de monastères, formulaires de donations, textes religieux et littéraires comme la Maitreyasamiti, confessions des péchés, fragments manichéens et enfin hymnes à Maitreya, tout atteste la présence du dieu nouveau autour duquel se cristallisent les aspirations du monde oriental.
De ce culte naquit un bouddhisme qui est presque exclusivement une religion de pure dévotion (bhakti), un monothéisme. Il n’est pas dans la ligne de la vieille orthodoxie. Le fidèle n’acquiert plus de mérites en vue d’une bonne renaissance dans le monde des dieux ou des hommes; l’ascète ne s’exerce plus dans l’octuple chemin pour accéder à un incompréhensible Nirvana. La doctrine de la rétribution des actes est, sinon oubliée, du moins mise en veilleuse. Le seul moyen de salut est désormais la grâce divine, prévenante et efficace.
La dévotion à Maitreya — et c’est pourquoi nous en parlons ici — est commune aux deux Véhicules.
***
Illustration : Maitreya assis avec la fiole contenant le nectar du dharma dans la main gauche. Art du Gandhara Schiste IIème-IIIème siècle de notre ère. Musée national d'art oriental (MNAR) / Museo nazionale d'arte orientale
[2] 47 L’application de l’épithète d’Invaineu à Maitreya s’expliquerait par une influence iranienne : cf. J. Pezyltjski, La croyance au Messie dans l’Inde et dans l’Iran, K.HB., t. C, 1929, p. 1-12; TJn dieu iranien dans l’Inde, EO, VII, 1931, p. 1-9 ; S. LÉvi, Maitreya le Consolateur, 1. e., p. 360. — Pour M. Abegg, Der Messiasglaube in Indien und Iran, Berlin, 1928, le messianisme indien est indépendant de l'eschatologie iranienne.
[3] Voir, pour le détail, W. Baruch, Maitreya d’après les sources de Sérināe, EHE, CXXXII, 1946, p. 67-92.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire